Fable politique sur… comment dit-on déjà… nos “jeunes issus de l’immigration” et sur les difficultés d’une société qui renâcle à penser ses contradictions, Gens du pays nous propose un terrain d’exploration fait d’acidité critique, de cocasserie, de tendresse et de force poétique. Ce seront là autant de mains courantes pour notre travail de plateau.
Qu’est ce que c’est “être chez soi” ?
Kevin Kevin est professeur, Lorie Lory est policière. Ils représentent deux piliers importants de notre République : l’instance éducative et l’appareil policier. Lui demande “je veux connaître ta France à toi”. Elle menace “je veux connaître ton origine”.
Le professeur trouve “passionnante” la diversité colorée qui est celle de sa classe.
La policière ne se sent plus chez elle.
Voilà bien où notre société se prend les pieds dans le tapis. Maniant sans fin les injonctions paradoxales, elle est l’arène où s’affrontent et s’embourbent tenants de la diversité et militants de l’assimilation. Débats complexes, souvent nauséeux, auxquels la dernière réplique de Martin Martin cloue le bec d’un constat sans appel : “Mais je suis Français Maman”.
Une tragi-comédie politique
Le professeur et la policière, avec leurs noms à faire jaser un “Français de souche”, sont en couple. Ça, c’est un vrai ressort théâtral.
Et les incompréhensions et maladresses à l’œuvre dans l’exercice de leur profession creusent aussi la relation amoureuse. C’est un vrai ressort comique.
Il faudra cependant se garder de tout manichéisme – ce qui se dit est en soi assez clair. Il ne s’agit pas de mettre en scène le couple d’une “facho” et d’un “enseignant-de-gauche peut-être naïf-et-sûrement-bien-pensant”, mais de creuser dans ces endroits de ratage, voire de mal-être ou de douleur personnelle. Chacun de ces deux là croit en ce qu’elle/il fait, mais, mais, mais !… Il n’empêche : ça grince et ça dérape.
Qu’est ce que c’est “être soi” ?
Ce qui veut dire pour les acteurs : ne pas forcer le trait, être précis et concret eu égard à la mécanique des dialogues extrêmement bien ciselés. Tout doit être justement dessiné, sans caricature. Mieux vaut mettre à jour et explorer des contradictions qu’asséner des vérités.
Il n’y a pas quelque part où on peut être nous, dit un élève cité par l’auteur. Et le jeune Martin Martin de demander : Qu’est ce que c’est “être soi” ?
Un conte initiatique
C’est là que le texte prend toute son épaisseur poétique et se fait aussi conte initiatique. C’est quoi devenir un homme ? Vouloir être adoubé par un groupe ? Sortir de l’obéissance ?
Tous les ingrédients du conte sont ici rassemblés : la nuit, la lune, la forêt où rôde la meute, les écluses, et la « jungle des villes ». Sur le plateau autour de Martin Martin, les autres s’agitent, ne sachant comment s’y prendre avec cet inconnu qui les déroute, au sens premier du terme.
En fond de scène, des miroirs, frontière avec le territoire de la meute, espace interdit, où les contours se floutent, où les présences se démultiplient, où l’on tente de se reconnaître, où se reflètent comme des mouvements d’eau. Sur le plateau avec les acteurs, un musicien. La “meute”, c’est aussi lui. Il prend en charge d’autres partitions sonores : les paroles intérieures de Martin, les mots qui ne sortent pas, ceux du rappel à l’ordre, ceux de la révolte.
Le retournement final, dans sa violence, marque aussi d’un coup l’entrée dans un nouvel âge : pas encore adulte, Martin devient responsable de sa mère face à une histoire qui le dépasse…
Sylvie Jobert, metteuse en scène