Tant que l’on ne considérera pas que le théâtre est avant tout un lieu de réunion et d’échanges, où peut se constituer une assemblée, on ne trouvera pas de solution pour que le théâtre retrouve sa place au sein de la cité. Le public n’est pas une cible commerciale, il doit être pensé comme une assemblée, une assistance.
Anne Surgers
Poétiser la politique, politiser la poésie.
L’Europe – territoire poétique et politique – est une mosaïque d’aventures humaines riche de langues et de cultures multiples. Le désir de réunir une demie douzaine d’écrivains venus de Belgique (Pieter de Buysser), d’Italie (Tino Caspanello), de Pologne (Artur Palyga), de Turquie (Berkun Oya) [et du Québec (Geneviève Billette)] pour partager leurs écrits et échanger sur nos points communs et nos dissemblances, sur nos pratiques et nos impasses, tomber d’accord absolument, s’engueuler copieusement, comploter contre un monde qui refuse obstinément de correspondre à nos attentes, est l’intuition que les écritures dramatiques ne sauraient se passer d’ouvertures régulières à d’autres approches, d’autres langues, d’autres points de vue. Créer un espace d’expérimentation, penser collectivement et en pratique la question de ce que nous faisons en ce début de vingt et unième siècle face à ce profond sentiment d’impuissance politique, à cette résignation quasi générale à l’ordre des choses, avancer enfin vers un théâtre qui puisse participer – sinon à la destruction – du moins à la remise en cause des représentations dominantes actuelles, unilatérales, unidimensionnelles, infantilisantes, réifiantes et cyniques, semble aujourd’hui plus qu’essentiel. Nous mettrons en place, avec Samuel Gallet, Magali Mougel, Laura Tirandaz et les auteurs invités, une coopérative d’écriture internationale et éphémère pour commettre divers attentats théâtraux et poélitiques dont nous rendrons compte à l’assemblée théâtrale chaque soirée du festival sous la forme d’un cabaret dramatique à l’issue des lectures. Le processus est en route.
Passer outre les frontières
Chaque écriture est un jardin – et chaque jardin une tentative de fraternité.
Armand Gatti
Qu’avons-nous en commun aujourd’hui en Europe ? Qu’est-ce qui fait notre devenir commun au-delà d’espaces marchands, de crises économiques, d’impuissance politique, de fermetures de frontières et d’une peur toujours croissante de l’étranger ? A quoi participons-nous ? De quoi sommes-nous dépossédés ? Sommes-nous dépossédés ? Comment exprimer ce qui dans le local de nos vies quotidiennes communique avec le global ?
Les auteurs invités cette année au festival remettent en question chacun à leur manière les représentations dominantes qui nous hantent et nous font agir en les déplaçant, les déstabilisant, les ridiculisant, en venant interroger notre rapport au temps, l’articulation de l’événement politique international et médiatique avec l’intime des vies, en arrêtant un peu la course folle des images spectaculaires de destructions et d’angoisses, en affirmant malgré le sentiment d’étrangeté et d’absurde la permanence du rêve et la possibilité du chant. Littératures dramatiques pour rendre au monde sa commune mesure, nous invitant plus à en saisir les dimensions multiples et la richesse toujours présente qu’à en désespérer une nouvelle fois.
En invitant cinq auteurs sur toute la durée du festival, en lisant, en travaillant ensemble, en confrontant différents points de vue et approches du théâtre et du monde, nous souhaitons faire entendre la diversité des manières que nous avons pour nommer le réel et ce que nous mettons en commun aujourd’hui, quelles nouvelles utopies, quelles perspectives, pour rêver quelque peu ensemble à un avenir moins sombre, plus combattant, que celui que la sensibilité générale semble prédire. Passer outre les frontières, sortir de soi, se chercher dans les autres et affirmer que le monde ne vit et ne vivra que dans et par sa diversité sensible. Littératures dramatiques kaléidoscopiques, en éveil et militantes.
Samuel Gallet