Cahier de texte de …
L’AFFAIRE CORRERA
de François Hien [France]
Dans la dernière barre d’immeuble à réhabiliter dans quartier de La Péruche, il y a une dame, Mme Correra, qui dit non. Elle refuse que les responsables du relogement lui attribuent un appartement « trop petit » pour contenir tous ses souvenirs, à l’image du vaisselier hérité de sa mère. Puis, il y a les souvenirs de son défunt mari et de son fils qui ne vient plus que rarement. Quand arrive l’hiver, le bailleur ne veut pas remettre le chauffage collectif pour une seule personne. Mme Correra trouve du soutien parmi les anciens du quartier. Le nouveau projet d’urbanisation, sur fond de mixité sociale, ne rencontre pas non plus un franc succès. Il y a même des rixes entre nouveaux et anciens résidents.
Cette pièce écrite au cours d’une résidence de deux ans dans le quartier de la Duchère à Lyon se présente comme un feuilleton en cinq épisodes et un épilogue. Au sein du Collectif X et à l’écoute des populations de ce quartier, François Hien offre une plongée documentée dans les mécanismes et souffrances liées aux politiques d’urbanisation décidées pour les nouveaux quartiers. L’écriture est réaliste, à suspens et met en présence différents points de vue de cette problématique.
LIRE UN EXTRAIT DE LA PIÈCE
>> Lire l’extrait de L’affaire Correra
© Nicolas Ligeon
QU’EST CE QUI A MOTIVÉ / PROVOQUÉ / SUSCITÉ L’ÉCRITURE DE CE TEXTE ?
De 2017 à 2019, le Collectif X et moi-même avons été en résidence dans le quartier de La Duchère, à Lyon, pour accompagner par le théâtre le processus de relogement des habitants de barres promises à la démolition. En juin 2018, après un an pendant lequel nous avons proposé une formule de théâtre documentaire, nous avons décidé de changer nos outils.
Ce processus a donné L’affaire Correra, un feuilleton théâtral de fiction, que nous avons joué par épisodes, à mesure que je l’écrivais, dans tous les lieux de sociabilité du quartier, avant de le proposer en version longue en fin d’année.
L’affaire Correra déploie une histoire imaginaire nourrie de toute la matière que nous avions recueillie dans le quartier. C’est une pièce qui se veut à la fois romanesque et documentée ; devenue une pièce de notre répertoire, que nous jouerons dans plusieurs théâtres la saison prochaine, elle garde trace de la manière singulière dont elle a été réalisée et reste découpée en épisodes.
L’affaire Correra raconte le combat solitaire et perdu d’avance d’une vieille dame obstinée qui s’oppose à son relogement. C’est une pièce sans méchant : autour d’elle, les employés du bailleur, les décideurs, les travailleurs sociaux, tous s’efforcent de faire de leur mieux, ce qui rend la situation d’autant plus intolérable. La pièce parle du choc entre les grandes politiques publiques volontaristes et les individus qui en subissent l’impact.
En permettant d’entendre tout le monde, en ne caricaturant personne, la pièce permet le déploiement d’un problème, qui pourrait être ainsi résumé : il faut bien rénover ces quartiers, mal conçus et générateurs d’une ghettoïsation subie par leurs habitants ; certaines démolitions semblent inévitables ; mais ces démolitions font des victimes, des gens qui ne s’en remettront jamais ; or, tout le monde veut avoir les mains propres. Le problème a un rapport à la question du sacrifice. Est-il juste ou souhaitable de sacrifier une madame Correra dans le but d’améliorer un quartier ? Et si oui, qui est prêt à en prendre la responsabilité ? Ces questions constituent la trame de la pièce.
L’affaire Correra raconte une histoire de redistribution de la reconnaissance. La vieille dame que l’on s’apprêtait à voir consentir se révolte contre le destin qu’on dessine pour elle. Après une vie à courber l’échine, elle décide de résister. Cette résistance bloque tout un processus de rénovation ; un récit entier se mobilise autour de son obstination. Ce qui était négligeable devient central.
C’est ainsi que nous avons répondu à l’appel d’offre qui nous était passé : accompagner sensiblement le relogement, c’est redistribuer la reconnaissance. C’est donner tout crédit aux travailleurs de terrain plutôt qu’aux décideurs. C’est faire des héros des gens qui d’ordinaire ne comptent pas. La redistribution de reconnaissance n’est pas seulement un motif de la pièce ; elle en est aussi le moteur ; elle joue à un niveau méta, dans l’effet qu’elle espère produire.
De nombreuses personnes du Collectif ont participé à cette aventure ; mais elle fut menée pour l’essentiel avec Jérôme Cochet, Clémentine Desgranges, Kathleen Dol et Julien Nini. François Hien
LA VIE DU TEXTE
– L’Affaire Correra est un feuilleton théâtral en cinq épisodes et un épilogue écrit par François Hien dans le cadre de la résidence du Collectif X dans le quartier de La Duchère, à Lyon ;
– Sur ce lien, on trouve les dates de tournée mais surtout les photos des représentations d’épisodes en immersion dans le quartier, qui sont éclairantes pour comprendre le processus de création ;
– Visionner le teaser du spectacle ;
– L’Affaire Correra est une sélection 2020 du comité de lecture de Troisième bureau.
© Rémi Blasquez
BIOGRAPHIE
François Hien est auteur de pièces de théâtre, de films, d’essais et de romans. Il réalise des documentaires de création avec CinéSilex, travaille en proximité avec le Collectif X et a crée avec Nicolas Ligeon la compagnie L’Harmonie Communale, destinée à porter sur scène ses pièces : La Crèche, Olivier Masson doit-il mourir ?, La Honte, Échos de la Fabrique (avec l’Opéra de Lyon). Il a publié Retour à Baby-Loup Éditions Petra, 2017 et Les Soucieux Éditions du Rocher 2020. Il est père d’un enfant.
SES COUPS DE CŒUR LITTÉRAIRES
– Une vie bouleversée d’Etty Hillesum, Le seuil, 2008
– Le musée de l’innocence d’Orhan Pamuk, Gallimard, 2012
– Mensonge romantique et vérité romanesque de René Girard, Grasset, 1977