C’est la vie qui brille à l’avant.
Tristan Tzara
L’Homme approximatif
À la première grande guerre du siècle passé (et à tant d’autres), où l’exigence du progrès et de la folie économique poussa une génération entière à la boucherie, ils furent quelques-uns à quitter les champs de bataille pour investir les marges du monde commun. Ces déserteurs, dont bon nombre plus impulsifs qu’idéologues, ne se souvenaient pas avoir passé d’accord aussi exclusif avec la patrie et ne lui demandaient rien sinon qu’elle leur foute la paix.
Sans unifier des époques et des réalités différentes – les champs de bataille ayant été pour leur plus grande part transposé dans le for intérieur de l’Homme et les pelotons d’exécutions se métamorphosant selon le temps, la géographie et les mœurs – combien de nouveaux déserteurs hantent aujourd’hui les villes, les intervalles, les imaginaires et les friches de nos mondes contemporains, traîtres à la très sainte guerre financière, à sa course effrénée, à ses imprécations guerrières, à son langage opératoire et pragmatique ?
À notre époque, où la résignation à l’ordre dominant devient de plus en plus générale, où le sentiment qu’il n’y aurait pas d’alternative au monde comme il nous est dicté colore la majeure partie de nos sensibilités contemporaines, la désertion pourrait avoir de beaux jours devant elle. Parmi les droits de l’Homme supplétifs que revendique Baudelaire, celui dont on se réclame le plus énergiquement dans cette posture, par rapport au train du monde comme il va, est bien clairement celui de s’en aller. Quand tout dialogue est impossible, quand toute alternative est ridiculisée, la désertion devient une manière d’être au monde. Contestation en acte et en mouvement d’un système pour lequel ça ne vaut pas la peine de s’engager. Tension vers une liberté à conquérir, trajectoires, travestissements, tentatives pour réinvestir le monde, pour se le réapproprier.
Au cœur de cette dérive voulue résonnent le rire sauvage et l’humour noir chaotique de qui se ressaisit comme sujet, loin des slogans grégaires, des allégeances obligatoires et des marches forcées. Car ce n’est pas la vie qui ne correspond plus à qui déserte mais la grammaire réduite avec laquelle l’ordre dominant s’échine à la définir.
La connotation péjorative attachée au mot déserteur est de fait troublante. Elle dit bien que celui qui ne se soumet pas aux diktats en vigueur (dont les injonctions à la résistance peuvent faire partie) est souvent perçu par les autres comme un reproche vivant, une figure du doute, et ses motivations sont discréditées. De même la métaphore militaire appartient toujours à la langue et à la logique de ceux à qui l’on fausse compagnie. Être déserteur, c’est encore en être. Comment celui qui part se nommera-t-il, se réinventera-t-il ? Comment se débarrassera-t-il de l’embrigadement des corps et des mots ? Que les territoires découverts demeurent troubles et incertains, effrayants, nocturnes, fragiles ou périphériques, ils ont l’avantage de conserver l’imprévu et l’énigme dans leurs plans, et ce sentiment luxueux en notre temps que tout n’est pas joué d’avance.
Comment le théâtre peut-il être un appel à déserter (et non un mémento mori perpétuel) pour insuffler de l’air dans l’étouffement ambiant, de l’or dans le temps, une passion pour l’inexploré, de l’avenir enfin, un désir de vivre sans quoi la résistance dont beaucoup se réclament n’est plus qu’une entreprise militaire ou pire, une faute de vocabulaire ? Comment mettre en question et en crise cette sensibilité contemporaine dépressive qui nous englobe ? Et exprimer par là, la nécessité de s’en extraire pour découvrir les possibilités qu’il nous reste de penser, de voir, de vivre autrement que sous le prisme d’une éternité marchande incolore et mortifère ?
Que dit la littérature dramatique de cette réponse radicale que serait la désertion – posture active et non repli, déplacement et non immobilité – à la clôture du temps, de la vie (comme diversité) et des imaginaires ?
Un accroissement véritable du nombre de déserteurs est à prévoir dans les années à venir. Troisième Bureau se propose pour la neuvième édition de son festival Regards croisés d’en dresser un premier état.
Pour le collectif Troisième bureau
Samuel Gallet, auteur
Le festival
- Le programme
- Les auteurs du festival
- Les traducteurs du festival
- Les rencontres
- la gazette du festival
Les lectures au café
Le café est un lieu de parole et de convivialité ouvert à tous. En préparation du festival ”Regards croisés”, nous proposons cinq rendez-vous de lectures qui permettent à l’assistance de faire un premier parcours des dramaturgies faisant écho à la thématique choisie.
Ces rendez-vous ont lieu au Café restaurant La Frise
150, cours Berriat à Grenoble (Tramway ligne A / arrêt Berriat)
Entrée libre en fonction des places disponibles. Possibilité de dîner à l’issue de la lecture.
Lundi 16 mars 2009
En présence de l’auteur
Encore un jour sans
de Samuel Gallet
Edition Espaces 34, 2008
Lecture dirigée par Dominique Laidet
Avec : Grégory Faive, Sébastien Hoën-Mondin, Danièle Klein, Emilie Leroux
À la périphérie d’une grande ville, une friche. Deux jeunes hommes, Yarold et Simon, vivent dans un hangar près duquel a échoué la caravane de Magda, une vieille femme malade et impotente. Simon est “inapte” au monde. Chaque jour, Yarold va en ville, acheter ce qu’il faut pour manger, ce qu’il faut contre la douleur de Magda. Mais il n’a qu’un seul désir, ne jamais revenir et s’enfuir avec Anita, la jeune serveuse du bar 64.
Lundi 16 février 2009
En présence de la traductrice
D’après une histoire vraie
Jeu de larmes
de Almir Imsirevic
Traduit du bosnien par Karine Samardzija
Avec Stéphane Czopek, Léo Ferber, Bernard Garnier, Danièle Klein
Lundi 19 janvier 2009
En présence de l’auteur
Habbat Alep
de Gustave Akakpo
Lansman Editeur
collection Ecritures Vagabondes, 2006
Avec Grégory Faive, Léo Ferber, Bernard Garnier, Philippe Saint-Pierre
La solution, c’était lui, mon cousin, le fils de l’absent. “Arrange-toi pour qu’il vienne en toi, tu sais t’y prendre avec des façons de femme, des paroles à la douceur de pistache, si je ne m’abuse” a dit mon père. En attendant, un médecin m’avait recousu l’hymen. »
Lundi 15 décembre 2008
Le Groenland
de Pauline Sales
Editions Les Solitaires Intempestifs, 2003
Collection Mousson d’été
Avec Léo Ferber
Lecture dirigée par Dominique Laidet
Regarde les femmes de mon âge, regarde les femmes autour de trente ans, doucement sur les tempes les cheveux blancs, doucement auprès des yeux les rides. Ce n’est pas le temps qui est désolant, c’est la fatigue, c’est la part vaincue.